Les avocats et notaires et le fisc

Les cabinets d’avocats sont-ils des paradis fiscaux ?

C’est là la crainte que l’Agence du revenu du Canada a exprimée lors de ses représentations dans l’affaire Chambre des notaires du Québec c. Procureur général du Canada et Agence des douanes et du revenu du Canada et Barreau du Québec , affaire dans laquelle jugement a été rendu le 8 septembre dernier et qui fait présentement l’objet d’un appel. Dans la mesure où les autorités fiscales, tant fédérales que provinciales, sont de plus en plus actives, ce jugement est d’autant plus intéressant pour la pratique des avocats, et ce en raison du fait que la problématique qui s’est posée dans cette affaire risque de devenir de plus en plus fréquente.

D’abord, le système fiscal canadien est fondé sur deux principes fondamentaux : l’autodéclaration et l’autocotisation. C’est donc dire qu’il revient à chaque contribuable d’établir et de déclarer ses gains imposables annuels ainsi que l’impôt payable, de sorte que le système repose, en quelque sorte, sur l’honnêteté et la bonne foi de chacun. En contrepartie, le législateur fiscal a accordé aux autorités fiscales de larges pouvoirs de vérification afin de s’assurer que les revenus ont été correctement déclarés et que l’impôt payable a été correctement établi.

Ainsi, ces larges pouvoirs de vérification donnent au fisc la possibilité de consulter tout document et d’avoir accès à toute information pertinente afin de vérifier les renseignements déclarés. Lorsque le contribuable ne collabore pas afin de donner accès à ces documents, les lois fiscales permettent l’envoi d’un document appelé « demande péremptoire » enjoignant la personne visée, soit le contribuable ou un tiers en possession de l’information ou du document recherché, à fournir ladite information ou ledit document dans le délai imparti, le tout sous peine d’amende ou d’emprisonnement. Également, la loi fiscale permet au fisc d’obtenir une ordonnance d’un juge enjoignant la personne qui détient les informations ou les documents de les fournir, le tout sous peine d’outrage au tribunal.

Dans certains cas, ces tiers peuvent être des professionnels, tels les notaires et les avocats, qui sont en possession d’information ou de documents recherchés par les autorités fiscales, et là se pose le problème du secret professionnel. Or, comme l’analyse intéressante de l’historique jurisprudentiel du secret professionnel effectuée par le tribunal le révèle, il s’agit de « l’un des privilèges les plus anciens et les plus puissants reconnus par la jurisprudence »  et « dès qu’une relation professionnelle légitime s’établit entre un professionnel du droit et un client, tous les gestes, documents et toutes les informations sont, prima facie, couverts par le secret professionnel ». Et le juge d’ajouter que c’est à celui qui invoque que le l’information ou le document n’est pas couvert par le secret professionnel de le démontrer et que ces cas doivent être « rarissimes » et utilisés en dernier recours seulement. Ainsi, le droit du fisc de vérifier l’exactitude des déclarations produites par les contribuables est mis dans la balance avec leur droit fondamental au secret professionnel et ce dernier droit, de par sa nature, pèse lourd.
Ainsi donc, c’est dans ce contexte que la Chambre des notaires s’est adressée à la Cour supérieure afin de faire déclarer inconstitutionnelles les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui donnent au fisc les pouvoirs en question.

Dans son analyse, le juge a relevé plusieurs failles dans la façon de procéder de l’Agence du revenu du Canada, soit que :

1. La demande est uniquement adressée au professionnel, et non au contribuable;

2. Le délai de présentation de la requête est trop court, soit 5 jours;

3. La loi n’impose pas comme condition qu’il soit démontré au juge qu’il n’existe pas de solution de rechange raisonnable.

En effet, ces lacunes font en sorte que le détenteur du secret professionnel n’a pas l’occasion de formuler une objection afin que soit protégée la confidentialité des informations ou documents privilégiés. D’ailleurs, la Cour suprême, dans un contexte de droit criminel, a jugé que ces lacunes étaient fatales puisque l’État doit s’assurer du respect de ce droit fondamental.

Finalement, le juge a conclu à l’inconstitutionnalité des dispositions donnant au fisc le pouvoir de transmettre une demande péremptoire ainsi que le mécanisme prévu par la loi lorsque le destinataire n’y donne pas suite. S’en suivra donc qu’une refonte de la législation fiscale à ce sujet sera nécessaire, si l’appel est rejeté, et le juge indique, en quelque sorte, vers quoi cette refonte devra tendre. En effet, selon lui, seul un juge d’une Cour supérieure est habile à examiner un document et à statuer sur sa protection par le secret professionnel. En somme, comme en matière de perquisition criminelle ou pénale, une autorisation judiciaire préalable est requise.

En conclusion, en réponse à la question de savoir si les cabinets d’avocats constituent des paradis fiscaux, le tribunal juge cette crainte du fisc comme étant exagérée et rappelle que, d’une part, les informations ou documents recherchés peuvent être obtenus auprès de tiers et que, d’autre part, rappelle qu’une exception au secret professionnel peut être invoquée lorsque des gestes illégaux sont posés. Quant à la suite, la décision de la Cour d’appel sera certainement d’un grand intérêt en raison de l’impact important qu’elle pourrait avoir sur la pratique des avocats et notaires lorsque le fisc cogne à la porte.

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